17 mai 2021

Fernand Maillard, réviseur d’entreprises

 

Un peu de culture d’abord !

Suivant le dictionnaire Larousse®, le terme zombie désigne dans le folklore vaudou, un revenant au service d'un sorcier, une personne qui a un air absent, qui est dépourvue de toute volonté.

En informatique le terme zombie désignera un ordinateur contrôlé à distance par une autre personne qui l’utilise à l’insu de son propriétaire pour commettre des actes malveillants, bref des ordinateurs piratés. Encore une preuve de la nécessité d’utiliser des accès sécurisés et contrôlés aux ordinateurs, ainsi que des programmes antivirus et de protection à jour, de sorte à éviter d’être une courroie de transmission et de piratage, une sorte de « mules » comme on en connaît dans le transport de stupéfiant, mais sans le savoir.

Depuis quelques années ce terme apparaît également de plus en plus souvent dans la littérature économique. Dans le monde des entreprises, on trouvera aussi des entreprises qualifiées de zombies de plusieurs types. La crise sanitaire et économique actuelle est un environnement propice à leur prolifération, les moratoires sur les faillites en Belgique pouvant créer en plus un environnement qui leur est favorable.

Ces entreprises sont des sociétés que l’on peut qualifier de "mortes-vivantes", dont les résultats d’exploitation ne génèrent pas assez de profits pour simplement couvrir les intérêts de leurs dettes.  Elles ne survivent que grâce à des injections permanentes de capitaux et au recours au financement bancaire à coût très peu élevé depuis plusieurs années, les taux d'intérêt étant très bas. Cela leur permet de résister en se finançant à bon marché et en masquant la faiblesse de leurs profits. Vu la fragilité de ces entreprises, le risque de faillite est donc très élevé, mais ce qui est interpellant, c’est que le nombre de ces entreprises augmente : certains experts parlent de 10 à 20 % des entreprises belges.

Cette " zombification " des entreprises peut être mise en lien avec, d’une part, les atermoiements de certaines banques, qui préfèrent octroyer de nouveaux crédits pour maintenir l'entreprise en vie plutôt que d'acter une perte, et qui préfèrent ne pas réduire les résultats de la banque, et, d’autre part, avec la baisse des taux d'intérêt qui rend les financements plus faciles pour les entreprises en difficulté.  Or un tel endettement fait que les entreprises feraient faillite si les taux d’intérêt étaient normaux et les taux actuels anormalement bas pourraient très bien remonter.

Ces entreprises zombies se trouvent en concurrence avec des sociétés qui ont su s’adapter à l’évolution de leur environnement et capter les gains de productivité substantiels offerts par la technologie et le digital, au contraire des zombies qui n'ont pas réussi cette mutation et se vident petit à petit de leur substance, créant de la sorte une forme de de concurrence déloyale, mais aussi un risque majeur pour leurs partenaires et leurs stakeholders. La baisse des taux d’intérêt a permis de camoufler leur situation. Des politiques de réduction exagérées de leurs prix de vente, de réduction de marges, un sous-investissement chronique dans l’amélioration de leur productivité, caractéristiques souvent rencontrées dans ces entreprises zombies, les font rentrer dans un cercle infernal.

En accaparent des ressources (capitaux, financements bancaires, financements et aides publiques, main-d’œuvre, clients, etc.), leur présence freine l'arrivée de nouvelles entreprises, plus dynamiques et solides financièrement.

Mais cela ne concerne pas que des PME, le phénomène peut aussi concerner de grandes, voire de très grandes entreprises, dont l’insuffisance des capitaux propres combinée à un recours au financement pour le moment bon marché et des valorisations boursières stupéfiantes sans même parfois avoir montré le moindre résultat d’exploitation positif, valorisations dont on peut se demander le bien-fondé et qui sont à a merci du moindre éternuement dans le monde de la finance. Cela les rend extrêmement fragiles et sensibles à l’évolution des marchés, sans parler des grandes interconnections entre ces entreprises dont l’effet domino amène très vite la contagion des difficultés de l’une vers les autres.

Même le monde bancaire n’est pas épargné : à côté des banques à rentabilité normale, on en trouve d’autre qui ne réussissent à dégager qu'une rentabilité sur fonds propres très réduite, souvent même inférieure aux coûts de financement de ces fonds propres. On parlera alors de banques zombies qui ne résisteront pas à une augmentation des taux d’intérêts. Etonnant donc de voir que certaines banques (entre autres européennes) ne soient non seulement pas rentables mais qu’étonnamment elles puissent survivre temporairement. Mais elles finiront par disparaitre avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur leurs clients et les Etats qui en sont en partie leur garant en cas de défaillance.

Qu’en conclure ? D’une part, il faut impérativement renforcer les fonds propres des entreprises.  Et d’autre part arrêter de maintenir en vie artificiellement ces entreprises zombies grâce aux aides et au crédit bon marché. Dans notre rôle de conseil des entreprises, l’analyse de la rentabilité et de la continuité des entreprises doit se faire en fonction des paramètres relevés plus haut en termes d’évolution des coûts de financement, des perspectives de rentabilité réelle, d’analyse des moyens réels mis en place par l’entreprises pour assurer sa résilience.