1 mars 2024

Steven De Blauwe, senior advisor règlementation IRE

 

Introduction

Un arrêt intéressant de la Cour d’appel d’Anvers du 15 décembre 2022[1] a tranché sur la question de savoir si une dispense accordée aux actionnaires quant à leur obligation de libération constitue ou non une forme de distribution dans les SRL, soumises au double test de distribution en vertu des articles 5:142 et 5:143 du Code des sociétés et associations (ci-après : « CSA »), c’est-à-dire le test d’actif net et le test de liquidité.

Situation précédente 

Une SPRL a été soumise de façon anticipée aux dispositions du CSA par une décision de son Assemblée générale du 8 octobre 2019, la transformant en SRL. Lors de cette même Assemblée générale, il a en outre été décidé que les actionnaires seraient dispensés de libérer la partie non libérée du capital de la SPRL, soit 12 400 euros.

La SRL a par la suite été déclarée en faillite par jugement le 17 novembre 2020. Le 31 mars 2021, les curateurs ont procédé à l’assignation de la société faillie , de ses administrateurs et  fondateurs  devant le tribunal de l’entreprise d’Anvers, section Turnhout.

L’action des curateurs  visait notamment à faire constater que la décision de dispense de libération constitue une forme de distribution irrégulière, inopposable et inexécutable en raison de son incompatibilité avec les articles 5:142 et 5:143 du CSA et que l’administrateur – qui avait obtenu une dispense de libération de la partie non libérée du capital – devait donc être condamné à payer le montant de 12 300 euros[2] qu’il n’avait pas libéré, en application de l’article 5:144 du CSA.

Le tribunal de l’entreprise a rejeté cette demande par un jugement du 10 janvier 2022,  contesté en appel, estimant que l’action était recevable mais non fondée car selon la juridiction de première instance, une dispense d’apport ne peut être assimilée à une distribution aux actionnaires relevant de l’article 5:144 du CSA, et cette disposition ne peut pas non plus être appliquée par analogie. Le jugement  souligne que la décision prise résulte de la volonté du législateur de permettre la constitution de sociétés et (l’exploitation) d’entreprises sans capital social.

Résumé de l'arrêt prononcé en appel 

La Cour d’appel d’Anvers déclare que la décision de l’Assemblée générale de la SRL du 8 octobre 2019 quant à la dispense octroyée aux actionnaires de leur obligation de libération ainsi que son exécution est en contradiction avec les articles 5:142 et 5:143 du CSA et condamne l’administrateur en application de l’article 5:144(2) du CSA, à payer aux curateurs  le montant de 12 300 euros majoré des intérêts moratoires judiciaires à compter du 31 mars 2021 jusqu’au paiement intégral au taux d’intérêt légal ordinaire.

Par cet arrêt, la Cour d’appel d’Anvers considère donc la dispense de libération comme une distribution irrégulière pour cause de non-respect du double test de distribution applicable aux distributions dans les SRL conformément aux articles 5:142 et 5:143 du CSA.

Par conséquent, les curateurs de la SRL depuis lors en faillite pouvaient récupérer la distribution effectuée en violation des articles 5:142 et 5:143 du CSA auprès du ou des actionnaires au profit desquels la distribution avait été décidée, conformément à l’article 5:144, deuxième alinéa du CSA et indépendamment de leur bonne ou mauvaise foi.

Confirmation de la position établie dans la doctrine

Par cet arrêt, la Cour d’appel d’Anvers confirme la position établie par la doctrine[3] selon laquelle la dispense accordée aux actionnaires quant à leur obligation de libération constitue une distribution dans les SRL devant faire l’objet du test d’actif net et du test de liquidité, en vertu des articles 5:142 et 5:143 du CSA. Bien que la dispense de libération n’entraîne pas la disparition immédiate de fonds de la société, elle provoque un appauvrissement susceptible de compromettre sa position future en termes de liquidités.

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[2]Il s’agissait en l’occurrence d’une libération du capital social à concurrence de 12 400 euros, dont 12 300 euros n’avaient pas été libérés par l’administrateur.

[3] Anvers, 15 décembre 2022, TRV-RPS 2023, p. 561, note F. Mertens et L. Van Marcke, dont la note de bas de page 25 se réfère entre autres à D. Bruloot et J-M. Nelissen Grade, « Schuldeisersbescherming in de BV na de afschaffing van het kapitaalconcept » dans H. De Wulf et M. Wyckaert (eds.), Het WVV doorgelicht, Mortsel, Intersentia, 2021, p. 75.

Cf. également le projet d’avis CBC 2020/XX du 4 mars 2020 – Distribution du bénéfice : les nouveaux tests de distribution pour les SRL et SC, p. 2, point 7 : « En outre, les nouveaux tests de distribution doivent également être mis en œuvre pour toute autre distribution d’éléments constitutifs des capitaux propres, comme les apports disponibles ou non, ou lors de l’abandon d’un apport non encore appelé. Étant donné que ce dernier cas vise les créances à l’égard de la société au titre d’apport en capitaux propres, il doit être considéré comme une distribution indirecte ».