20 septembre 2023
Le jeudi 14 septembre 2023, l’Institut des réviseurs d’entreprises a réuni plus de 250 participants et 20 orateurs à Bruxelles pour sa troisième édition de la “Journée du révisorat”. Chaque année, c’est l’occasion pour la profession de faire le bilan. Si cet événement a suscité un tel engouement, c’est notamment parce que les thèmes abordés étaient particulièrement d’actualité : on a parlé réchauffement climatique et nouvelles missions d’audit des informations en matière de durabilité pour les réviseurs d’entreprises.
Jan Laplasse, chef du service communication de l’IRE
Cette nouvelle dynamique, on la doit à la très prochaine application de la directive européenne sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (la CSRD). À partir de l'exercice 2024, des règles de transparence plus strictes s'appliqueront aux informations en matière de durabilité (ESG) publiées dans le rapport annuel des plus grandes sociétés cotées, puis aux sociétés non cotées et aux PME. Les États membres de l’Union européenne ont jusqu’en juin 2024 pour transposer cette directive dans leur législation nationale.
L’objectif de la CSRD est d’améliorer la qualité et la comparabilité des informations en matière de durabilité. Le nombre d’entreprises soumises à cette obligation de publication va augmenter par phases. D’après les estimations, en Belgique, cela concernerait dans un premier temps entre 2500 et 2800 entreprises qui représentent jusqu’à 53% du PIB.
La CSRD apporte à une profession de réviseurs d’entreprises encore largement axée sur les chiffres une belle dimension sociale supplémentaire. « Les nouvelles missions d’audit qui nous attendent sont une vraie révolution pour notre profession : pour la première fois de notre histoire, en plus de l’audit des informations financières des entreprises, on nous confie l’audit des informations non financières. Ça ne donne pas seulement plus de couleur à notre métier, ça nous permet également de nous faire une idée plus complète du fonctionnement de l’entreprise. Les réviseurs d’entreprises ont désormais la possibilité de contribuer à la mise en œuvre concrète des mesures de durabilité sur le terrain, aussi bien auprès des grandes entreprises que des petites. Cela nous permet d’aller encore plus loin dans notre engagement social », explique Patrick Van Impe, le président de l’IRE.
En 2019, la Commission européenne a lancée à l’occasion de la conférence de Madrid sur les changements climatiques son ambitieux Pacte vert pour l’Europe, un ensemble d'initiatives politiques visant à faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050. L’un des éléments clés de ce plan est notamment la lutte contre le greenwashing et c’est justement dans ce cadre que les réviseurs d’entreprises ont un rôle à jouer. Les rapports de durabilité vont devoir être audités afin de vérifier que les informations publiées reflètent bien la réalité. Cela permettra d’améliorer la transparence entre toutes les parties prenantes des entreprises concernées. L’audit des données disponibles est un maillon dans la chaine des changements vers une approche axée sur la durabilité. De la stratégie de durabilité au processus de production, en passant par le contact avec le client, tout sera passé à la loupe. Ceux qui recevront une évaluation négative risquent de se retrouver évincés du marché par leurs concurrents, leurs actionnaires, les institutions financières, leurs clients et les investisseurs. En effet, qui aura encore envie de travailler, d'investir, d'acheter ou de faire des placements dans une entreprise qui bafoue toutes les règles de durabilité ?
Il est important de bien recontextualiser la tâche qui attend les réviseurs d’entreprises dans le cadre de l’audit des rapports de durabilité. Éric Van Hoof, vice-président de l’IRE, précise : « L’audit n’est qu’un maillon dans la lutte contre le greenwashing et ne va pas nécessairement mener à des entreprises “ plus vertes ”. La tâche principale du réviseur d’entreprises sera de vérifier si les informations fournies par l’entreprise sont bien conformes à la réalité. En bref, notre audit garantit plus de transparence, pas moins d’émissions de CO2. Bien sûr, l’objectif est aussi qu’une bonne stratégie de reporting mène au bout du compte à une meilleure compréhension de la situation, ce qui constituera un moteur essentiel dans la transition vers une activité plus durable. L’audit contribue donc indirectement à un changement positif des comportements. C’est notre contribution au Pacte vert pour l’Europe. »
« Nous sommes conscients du rôle important que l’Europe nous a donné dans la lutte contre le greenwashing et nous sommes prêts à l’assumer. Nous sommes à ce jour la seule profession qui sait déjà avec certitude qu’elle va devoir auditer les informations de durabilité, ce qui nous a amenés à proposer très tôt un programme de formation complet à nos membres ».
Les réviseurs d’entreprises seront donc un acteur important dans la lutte contre le greenwashing, mais ils ne seront pas le seul. Comme pour les informations financières, le conseil d’administration de l’entreprise et son organe de contrôle interne jouent un rôle essentiel.
Ces nouvelles missions d’audit représentent pour les réviseurs d’entreprises un défi bienvenu. Les interventions lors de la Journée du révisorat ont montré que beaucoup considéraient qu'il s'agissait d'une occasion unique de donner une nouvelle orientation à la profession. Patrick Van Impe va aussi dans ce sens : « notre nouveau rôle d’auditeur des rapports de durabilité donne encore plus de sens à ce que nous faisons et vient renforcer l’attractivité d’une profession parfois perçue comme ennuyeuse. Dans un contexte où la guerre des talents fait rage et reste un défi majeur, nous espérons que le thème de la durabilité nous permettra d’attirer la jeune génération, pour laquelle la question climatique est une priorité absolue ».
Lors du débat, des réserves ont également été émises quant à la rapidité avec laquelle tout doit se dérouler : d'une part, les objectifs climatiques ont été fixés pour 2030 et 2050 mais la CSRD n'a pas encore été transposée par le gouvernement fédéral et, d'autre part, les entreprises vont devoir réaliser une série d'ajustements dès 2024. Cela semble ambitieux mais comporte aussi des risques.
Que se passera-t-il pour les entreprises qui recevront un avis négatif des réviseurs, en partie parce que le cadre n’est pas encore suffisamment clair ? Cela ne les expose-t-elles pas à des problèmes potentiels avec les banques, les actionnaires, les médias ou leurs concurrents ? À quoi correspondent exactement les travaux que les réviseurs d’entreprises vont devoir réaliser dans le cadre des missions d’assurance limitée et d’assurance raisonnable ? Quelle quantité de données les entreprises vont-elles devoir fournir et quel est le niveau de détail attendu ? Sandra Gobert, qui représentait Guberna, a aussi insisté sur trois piliers essentiels de cette nouvelle approche : la stratégie, le contrôle et le leadership.
Le défi est de taille. Pas uniquement pour les réviseurs d’entreprises, mais aussi pour les entreprises soumises à ces nouveaux audits, qui vont devoir adapter (parfois radicalement) leur business model. Elles vont devoir revoir leur modèle de gouvernance pour intégrer les différentes dimensions non financières dans toutes leurs décisions. Cela comprend notamment la gouvernance, l’éthique, la diversité, l’inclusion et le respect des droits de l’Homme.
« Malgré tous les efforts qui ont déjà été faits, de nombreuses entreprises belges ne seront pas prêtes. C’est pourquoi je plaide pour une implémentation pragmatique, réaliste et graduelle des nouvelles obligations en matière de reporting et d’audit. Il faut certes être ferme sur l'objectif à atteindre, mais il faut aussi donner aux entreprises le temps et le soutien dont elles ont besoin », déclare Patrick Van Impe
Les décideurs politiques sont eux-aussi pressés par le temps. La CSRD doit encore être transposée en droit belge et les normes internationales de reporting et d’audit doivent encore être finalisées. « Nous avons l’habitude de travailler dans un cadre international », explique le président de l’IRE. « Dans le contexte des problèmes climatiques mondiaux, ces accords internationaux sont d'autant plus importants qu'ils contribuent à la comparabilité des rapports de durabilité et permettent aux parties prenantes de mieux analyser et évaluer les informations ».
Le rôle ultime de l’auditeur des rapports de durabilité sera de vérifier si les informations de durabilité fournies par l’entreprise sont cohérentes par rapport à ses informations financières. Le réviseur d’entreprises est sans aucun doute particulièrement bien placé pour réaliser ce travail.
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