31 mai 2024
Fernand Maillard, réviseur d’entreprises
L’arrêté royal du 11 septembre 2016 concernant la coopération non gouvernementale a été modifié par l’arrêté royal du 10 mars 2024 (Moniteur belge du 30 avril 2024 – Entrée en vigueur le 10 mai 2024).
Outre des clarifications, les modifications les plus importantes concernent :
- L’accréditation (avec notamment l’introduction de critères d’exclusion (ratios de liquidité et de solvabilité) au niveau du domaine de la gestion financière afin de déterminer la capacité à faire face à ses engagements financiers). On notera que ces nouveaux critères ne sont pas évidents à déterminer dans le contexte particulier des organisations non gouvernementales (ci-après : « ONG »). Une certaine confusion semble exister dans la définition réglementaire du ratio de liquidité, qui n’exclut pas explicitement certains éléments à plus d’un an notamment… Si une ONG n’atteint pas le résultat arithmétique des 2 critères, il est considéré que les capacités de gestion financière sont insuffisantes et que l’organisation ne dispose pas d’un système performant de maîtrise de l’organisation, sauf si l’ONG démontre que cette situation répond à une stratégie délibérée et maitrisée.
- La Fusion d’organisations et de programmes communs,
- Les Cadres Stratégiques Communs (CSC) & Dialogues Stratégiques (DS),
- Le Calendrier, cycle de programmation & modalités de financement des programmes,
- Le Monitoring, Evaluation, Accountability & Learning,
- Le Contrôle financier et justification financière.
En ce qui concerne ce dernier point, les changements sont les suivants :
- Ajout d’une clarification et définition du « contrôle financier ». Une définition sur ce qu’est le « contrôle financier » effectué par l’administration a été ajoutée, car il y a une incompréhension sur ce qu’est réellement ce contrôle et la différence avec celui effectué par les réviseurs d’entreprises / commissaires. Le cadre légal belge ne précise pas la notion de contrôle financier.
- Clarification d’attentes de base et de critères d’éligibilité pour les pièces justificatives des dépenses imputées sur la subvention :
- L’ajout de l’exigence des pièces numérisées et ;
- La concordance entre l'année de la justification de la dépense et l'année de sa réalisation doit être assurée. Des critères d'éligibilité plus stricts pour les pièces administratives seront appliqués, et une clarification sera faite concernant la correspondance des pièces justificatives avec l'année de la dépense, afin d'éviter l'introduction de factures de 2021 en 2022, par exemple. L’arrêté royal introduit également le concept de numérisation quasi-obligatoire des documents et des pièces justificatives, avec une marge de manœuvre laissée aux organisations en cas d’impossibilité. Pour les pièces justificatives cela permettra d’éviter le retour obligatoire des pièces justificatives des terrains vers la Belgique et facilitera le contrôle. Il faudra insister sur la nécessité de vérifier la qualité de la numérisation pour éviter les fraudes éventuelles.
- Clarification des attentes relatives à la transparence sur l'origine de l'apport propre (auprès de l'administration), d'une part, et son utilisation dans le cadre de son programme cofinancé par la coopération non gouvernementale belge (auprès des autres bailleurs publics), d'autre part. Dans ce cadre, et suite à l'adaptation de l'article 47, l'organisation devra désormais communiquer la constitution de son apport propre à chaque justification et, le cas échéant, démontrer que les éventuels bailleurs publics contribuant à cet apport pour le programme de coopération non gouvernementale en ont bien été informés.
- Ces adaptations font de la transparence l'une des mesures principales permettant de contribuer à réduire le risque de double financement.
- Clarification du traitement et des conséquences des erreurs d’imputation de dépenses entre rubriques budgétaires générales lorsqu’elles sont constatées dans le cadre d’un contrôle financier. Pour les dépenses rejetées en cours de programme, celles-ci étaient auparavant rejetées et la Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire (ci-après : « DGD ») pouvait les réclamer. Avec les modifications de l’arrêté royal, une dépense rejetée ne sera plus automatiquement récupérable par l’administration. C’est à la fin du programme que le solde sera examiné, et il sera déterminé si des dépenses rejetées doivent être récupérées par l’administration ou non.
- Clarification du traitement des soldes négatifs (retards de dépenses) et des « soldes positifs » (excédents de dépenses) dans le cadre de l’approche quinquennale des programmes et de leur budget. Les soldes positifs représentent les excédents de dépenses (avancée des fonds plus rapidement que prévu par le budget prévisionnel – préfinancement par rapport aux subventions à recevoir) sont prévus par l’arrêté royal modifié et c’est en fin de programme quinquennal que la situation sera globalement analysée.
- Clarification du traitement des dépenses rejetées dont les montants viennent s’ajouter au solde du programme qui est mobilisable jusqu’à la fin de son exécution.
- La confirmation du respect des règles relatives à l’origine et à la constitution de l’apport propre.
- Clarification concernant la seule et unique possibilité de corriger un rapport de justification financière, et des conditions pour le faire.
- Suppression du délai pour la réalisation du contrôle financier. A noter que l’objectif de l’administration à ce niveau restera d’effectuer les contrôles dans les meilleurs délais.
- Harmonisation du délai de conservation des pièces justificatives, en cohérence avec le Code de droit économique (art.III.88 al.2 : « Les entreprises soumises à l'obligation comptable sont tenues de conserver leurs livres pendant sept ans à partir du premier janvier de l'année qui suit leur clôture »), couplée avec la délégation au Ministre de déterminer la nature et les formes des pièces justificatives afin de clarifier les attentes en la matière. Le délai de 7 ans s’entend bien par exercice comptable et non pour la période complète d’un programme quinquennal (comme c’est le cas dans de nombreux programmes de subventions de l’UE).
- Clarification du fait que l’administration dispose de la possibilité de commanditer des audits ou des évaluations externes sur l’utilisation de la subvention.
- Clarification des attentes ou identification de nouvelles attentes concernant les missions effectuées par les réviseurs d’entreprises. En particulier :
o Correction de vocabulaire effectuée : précision sur le rôle des commissaires et des réviseurs d’entreprises.
o Le contrôle de pièces justificatives incluant des dépenses réalisées dans les « pays en développement », le cas échéant. La DGD encourage le fait que les audits des réviseurs prennent davantage en compte les dépenses sur le terrain (avec contrôle sur place) et dans un contexte difficile. Il semblerait que dans le passé, certains auditeurs aient ciblé plus les dépenses effectuées en Belgique car elles sont plus faciles à vérifier, alors que Par conséquent, il est nécessaire de mettre plus l’accent sur ces dernières.
o L’arrêté royal mentionne l’introduction de nouveaux éléments à transmettre par l’ONG à la DGD pour compléter la justification financière à introduire annuellement. Cela concerne tout d’abord la liste des sources constituant l’apport propre pour l’année justifiée. Par contre l’arrêté royal mentionne un ensemble de documents relatifs à mission du commissaire : lettre de mission, lettre et rapport de mission de procédures convenues, lettre d’affirmation adressée par l’organisation subventionnée, communication du commissaire aux instances dirigeantes de l’organisation subventionnée (le cas échéant). Ce point est très controversé : l’arrêté royal prévoit que ces documents sont transmis par l’ONG à la DGD, y compris les communications du commissaire aux instances dirigeantes de l’organisation subventionnée. Il ne s’agit donc pas d’une communication du réviseur d’entreprises à la DGD. On note que ces documents couvrent souvent bien plus que la partie des activités soumises au contrôle des subventions de la DGD. De plus, ils peuvent être couverts par le secret professionnel et transmis par le réviseur d’entreprises à la seule attention de l’ONG sans pouvoir être transmis à des tiers L’arrêté royal semble méconnaître les règles strictes du secret professionnel (art. 458 du Code pénal) et le fait qu’un arrêté royal ne peut pas dispenser de l’application de la loi. Nous ne sommes pas ici dans le cadre d'une application du "single audit" (levée formelle du secret professionnel) avec communication et échange d’informations autorisés. La DGD communiquera rapidement sur ce point et fera à terme corriger l’arrêté royal en conséquence.
Il est à noter que la date de mise en vigueur de cet arrêté royal est le 10 mai 2024 et portera en premier sur les comptes 2024 ; cela ne change donc rien pour les rapports relatifs à l’année 2023.
Par contre, suivant notre compréhension sur base des discussions avec des représentants de la DGD :
- Les clarifications seront déjà d’application à partir du rapport financier 2023,
- L’exigence de numérisation des pièces devra être mis en application graduellement,
- La (justification) de l’origine des apports propres est d’application dès le prochain programme.
Avant la fin de l’année 2024, l’IRE, sur proposition de son groupe de travail ONG et en collaboration avec la DGD, adaptera les modèles de rapport de contrôle des réviseurs d’entreprises et les présentera à la profession, de sorte à en disposer avant la période de contrôle et de rapportage en 2025.